Le blog du Réseau des journalistes économiques de Guinée

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INTERVIEW DE M. ADBOUL AZIZ WANE, NOUVEAU REPRESENTANT6RESIDENT DU FMI EN GUINEE

Abdoul Aziz Wane, Représentant-résident du Fmi en Guinée, à bâtons rompus :

 

 

« Je ne vois rien qui empêcherait la Guinée d’atteindre le point d’achèvement de l’initiative PPTE »

 

Abdoul Aziz Wane, le nouveau représentant-résident du Fmi en Guinée,  se définit tout simplement comme «  un Africain de nationalité sénégalaise ». Cela fait un peu plus d’une décennie qu’il travaille pour le Fonds monétaire, qui l’a recruté alors qu’il était enseignant-chercheur à l’Université Cheick Anta Diop de Dakar. Il a notamment travaillé au Département Afrique du Fonds avant d’être nommé comme Représentant résident de cette institution au Mali. Il était économiste principal au département des finances publiques du FMI, son dernier poste avant la Guinée. Le vendredi dernier, il a bien voulu nous recevoir pour un entretien à bâtons rompus sur ses nouvelles fonctions. Lisez !

 

La République : En tant que nouveau représentant du Fmi en Guinée, quel va être votre précis durant votre mission dans ce pays ?

 

Abdoul Aziz Wane : Mon rôle, c’est d’apporter ma modeste contribution aux efforts du Fmi pour soutenir la reprise économique enclenchée par le nouveau président guinéen (Ndlr : le Pr Alpha Condé) et son gouvernement. Ce sera d’aider les autorités à mieux coordonner leur politique économique. C’est aussi faire en sorte que mes collègues, à Washington, soient imprégnés des réalités économiques, politiques et sociales, sur le terrain, ici, afin qu’ils puissent en tenir compte. Mon rôle sera donc celui d’un facilitateur entre le Fmi et le gouvernement guinéen. 

 

Qu’avez-vous fait dans ce sens depuis votre prise de fonction ?

 

Pour l’instant, j’ai essentiellement pris contacts et effectué des visites de courtoisie aux différents partenaires au développement de la Guinée, aux autorités du pays, pour comprendre la réalité économique du pays, pour mieux comprendre les problèmes qu’il y a et connaître également les gens individuellement. Dans le cadre de mes activités journalières, j’ai également eu des séances de travail avec le ministère des Finances et la Banque centrale sur les problèmes quotidiens de gestion macro-économique, mais aussi sur les orientations concernant la politique budgétaire et la politique de change.

 

Avant la Guinée, vous étiez pendant trois ans, le représentant-résident du Fmi au Mali. Quel parallèle pouvez-vous faire entre la situation malienne que vous aviez trouvée et celle de la Guinée, actuellement ?

 

La Guinée et le Mali ont certes des similitudes, mais aussi et surtout beaucoup de différences. Les similitudes tiennent au fait que ce sont deux pays où le secteur minier a une forte influence. Le Mali est le 3e pays producteur d’or en Afrique, après l’Afrique du Sud et le Ghana. La Guinée est également un pays producteur d’or. Elle a également d’autres minerais. Donc, le Mali et la Guinée sont tous deux des pays riches en ressources minérales. Ce qui a des implications dans la gestion macro-économique. La différence entre les deux pays est entre autre liée au fait que le Mali est un pays un peu plus enclavé. La Guinée, elle, est un pays côtier. Avoir une côte maritime augure de challenges importants en termes de gestion macro-économique, mais offre aussi beaucoup plus d’opportunités.

 

Qu’en est-il de leurs rapports avec le Fmi ?

 

Le Mali a eu un engagement continu avec le Fonds pendant plus d’une décennie au moins. Cela n’a pas été le cas de la Guinée. On a connu un moment où il n’y avait pas de programme formel avec la Guinée soutenu par des ressources du Fmi. Même si le Fonds a repris son engagement vis-à-vis de la Guinée, qui n’était pas en réalité complètement arrêté, parce que les bureaux du Fonds monétaire sont toujours restés ouverts, mais on n’avait pas encore commencé des discussions formelles pour avoir un programme. A part cette rupture, j’allais dire cette discontinuité dans les relations formelles et programmatiques entre le Fonds et la Guinée, nos relations sont aussi  de long terme. Contrairement à la Guinée, le Mali a déjà atteint, en 2003, je crois, le point d’achèvement de l’initiative PPTE (Ndlr : Pays pauvres très endettés). La Guinée n’a pas encore atteint ce point d’achèvement, mais le processus est déjà enclenché.

 

C’est pour l’atteinte de ce point d’achèvement que le Fmi a élaboré, cette année, un programme de référence pour la Guinée. Quel en est le contenu et où en sommes-nous dans sa mise en œuvre ?

 

L’objectif du Programme de référence, c’est d’aider les autorités guinéennes à restaurer la stabilité macro-économique du pays. Parce que, nous sommes convaincus qu’il n’y a pas de développement sans stabilité macro-économique. En particulier, c’est aider les autorités à réduire l’inflation et le déficit budgétaire et à stabiliser la monnaie. Le programme est mis en œuvre par les autorités de façon satisfaisante. Les performances à fin juin 2011 sont bonnes. Les objectifs que les autorités s’étaient assignées dans le cadre de ce programme ont été atteints. Maintenant, nous regardons la deuxième partie de l’année. Mais jusqu’à date les performances sont bonnes. Même si l’inflation n’a pas été complètement réduite ; il y a des facteurs exogènes qui expliquent le développement de l’inflation. Il y a aussi un passif assez important qui est toujours en train d’être géré par les nouvelles autorités.

 

Quel est ce passif ?

 

Il y a des liquidités assez importantes dans le système économique qui sont sources de tensions inflationnistes. La Banque Centrale et le Ministère des Finances sont en train de faire un travail coordonné pour réduire ces liquidités dans le système. Mais le montant des liquidités est assez important, ce qui explique qu’on ne voit pas de façon spectaculaire les progrès qui sont en train d’être réalisés en matière de maitrise de l’inflation.

 

La bonne mise en œuvre du programme de référence devrait permettre à la Guinée d’obtenir une facilité  élargie de crédit en vue de l’atteinte du point d’achèvement. Est-ce que cela est possible d’ici à la fin de l’année ? Sinon dans combien de temps cela sera possible ?

 

Le programme de référence est censé se terminer à la fin de l’année 2011. En fonction  des performances dans le cadre de la mise en œuvre de ce programme, les autorités pourraient éventuellement souhaiter avoir un programme de facilité élargie de crédit. Ce programme pourrait être le cadre pour l’atteinte du point d’achèvement. Donc, ce processus-là va être déroulé. Son résultat dépendra des performances et dans la mise en œuvre de ce programme.

 

Les autorités guinéennes font de l’atteinte de ce point d’achèvement un point d’honneur. Pensez-vous qu’on puisse y arriver dans un très court terme ?

 

Les bonnes performances dont je vous ai parlées dans le cadre de la mise en œuvre du programme de référence sont le signe que les autorités sont engagées dans cette direction-là. Si les choses continuent à se passer comme à la première moitié de l’année, normalement ce serait le déroulement d’un processus naturel qui mènerait les autorités à l’atteinte de ce point d’achèvement. Donc, je ne vois rien qui s’oppose à l’atteinte du point d’achèvement par la Guinée. Et, j’espère être là pour fêter, bientôt, l’atteinte de ce point par la Guinée. Je suis sûre que ça sera un moment important pour la Guinée.

 

Qu’est-ce qui pourrait tout de même l’empêcher ?

 

Il y a des conditions qui sont attachées à l’atteinte du point d’achèvement. Ce sont des conditions qui sont établies, non pas seulement pour la Guinée, mais pour l’ensemble des pays qui sont éligibles à l’initiative PPTE.  La Guinée va passer le même processus que les autres pays éligibles qui ont atteint le point d’achèvement. Ces conditions visent à s’assurer que les bénéfices tirés de l’atteinte du point d’achèvement vont effectivement aux populations, au développement économique du pays. C’est le fait par exemple d’avoir une Stratégie de réduction de la pauvreté en place, le fait d’avoir un programme de stabilisation macro-économique soutenu par le Fonds monétaire. Dans le contexte de ce programme-là, le fait d’avoir aussi une stratégie d’endettement prudente est également pris en compte. Ce sont des conditions que d’autres pays ont pu atteindre, il n’y a aucune raison que la Guinée ne puisse pas le faire. C’est fait pour le bénéfice du pays. Nous pensons que la volonté politique est là pour remplir ces conditions. Et, ce ne sont pas réellement des conditions, parce qu’à mon avis le pays aurait de lui-même réalisé ces genres de politique, sans un accompagnement du Fonds monétaire, certainement.

 

 

Souvent, le FMI fait l’objet de critiques. Que répondez-vous aux gens qui estiment que le couple Fonds monétaire-Banque Mondiale impose des conditionnalités qui sont souvent insupportables par les pays africains ?

 

Il faut relativiser. Le Fonds Monétaire a également évolué en tant qu’institution. Il a évolué dans le sens d’une plus grande prise en compte des contraintes des pays. Ce n’est pas que les politiques économiques qui étaient suggérées par le Fonds Monétaire étaient des politiques mauvaises. Au contraire. Elles ont d’ailleurs servi beaucoup de pays, en particulier africains. C’est qu’il y a également des contraintes sociales et des contraintes politiques qu’il faut parfois prendre en compte dans la formulation des politiques. Il est par exemple difficile de dire à un pays  qui n’a pas d’infrastructures de ne pas s’endetter pour financer des infrastructures rentables. C’est difficile. Par exemple, les conditionnalités qu’il y avait sur le niveau de concessionnalité de la dette ont été enlevées pour les pays par exemple qui ont développé cette capacité d’investissement qui peuvent mettre en œuvre des investissements rentables. Ces pays-là, peuvent avoir des marges de manœuvres en termes d’endettement, surtout au niveau de la concessionalité ou au niveau des montants de l’endettement. Le Fonds Monétaire est une institution   qui a évolué. Et les programmes avec le Fonds Monétaire, comme le nom l’indique, sont supportés par le Fonds Monétaires. C’est-à-dire que c’est le programme des autorités, qui demandent un support du Fonds monétaire, lequel discute avec ces autorités, pour voir dans quelles conditions il peut supporter ces programmes. Les objectifs du Fonds Monétaire sont les objectifs du gouvernement, qui sont inscrits dans les stratégies de la réduction de la  pauvreté. Parfois, il peut y avoir des différences dans la façon d’y arriver et nous faisons souvent bénéficier les gouvernements de notre expertise internationale. Nous couvrons plusieurs pays et c’est une couverture presque universelle. Et cette expertise internationale est un grand conseil pour nous-mêmes et pour les pays que nous servons.

 

Vous souhaiteriez, peut-être, aborder un aspect qu’on n’a pas touché dans cet entretien…

 

Je souhaiterais juste rappeler que la Guinée a un potentiel fabuleux, aussi bien dans les domaines minier, agricole, énergétique et autres. C’est un pays qui a tout pour réussir. Ce pays est aujourd’hui à un tournant. Il faut seulement une stabilité politique et sociale, des politiques macro-économiques prudentes, pour changer la face de ce pays. Je suis optimiste qu’on va arriver à cela dans les années à venir. Une façon d’y arriver, c’est de développer les infrastructures. J’insiste sur ce point parce que c’est un élément extrêmement important pour le Fonds monétaire. Nous pensons qu’il y a un gap au niveau des infrastructures. Il est donc extrêmement important que les ressources que le secteur minier guinéen génère puissent être investies à bon escient, en particulier pour développer des infrastructures au  niveau des routes, du secteur de la production et de la distribution de l’énergie, des hôpitaux, des écoles…Je voudrais aussi attirer l’attention sur le fait que la dépense publique n’est pas toujours équivalente à l’accumulation du capital physique. Les dépenses publiques ne se traduisent pas toujours et systématiquement en des investissements soutenables et rentables.

 

Qu’est-ce que vous sous entendez par-là ?

 

Ce que je veux dire par là, c’est qu’il y a un processus dans la dépense publique. Il faut investir d’abord dans la capacité du pays à faire des dépenses de qualité et, seulement ensuite, augmenter la dépense. L’objectif, c’est d’avoir des infrastructures, d’améliorer l’accès aux soins de base, l’éducation, la santé, l’eau potable, l’assainissement… Pour cela, il faut des projets bien réfléchis, qui puissent être mis en œuvre de la façon la moins couteuse, de la manière la plus efficiente pour qu’il y ait de l’argent pour d’autres projets également. Que ces projets puissent être suivis, qu’on s’assure que dans la mise en œuvre de ces projets,  tout a été pensé et qu’on s’assure que ces projets sont soutenables, que les dépenses récurrentes que ces projets vont créer pourront être financés par les ressources budgétaires dans l’avenir. Et, dans ce contexte, on aura des infrastructures qui seront de qualités et qui pourront être soutenues sur le long terme. C’est sur ça que je souhaiterais attirer l’attention de mes collègues, que ce soit du ministère des Finances, du ministère du Plan et même de la Banque Centrale, pour qu’on essaye de voir comment travailler avec les autres partenaires qui sont là, pour renforcer le processus de la dépense publique. Beaucoup d’efforts ont été déjà faits et le Fond Monétaire a fourni de l’assistance au gouvernement pour lui permettre de faire cela. Je crois que c’est un  des chantiers de politique assez urgent pour la Guinée.

 

 

Propos recueillis par

 

Bachir Sylla

 

In La République numéro 221 du 18 octobre 2011

 

 

 

 

 



19/10/2011
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